lundi 11 mai 2009

Texte de Emy-In-Winnieland

Trois jours qu'il ne dort plus. Trois jours à tourner en rond du soir au matin, à vider des bouteilles, à remplir le cendrier. Il ne sait même pas pourquoi le sommeil le fuit. Il est fatigué, il a les traits tirés. Le lendemain, comme la veille, ses collègues se moqueront de lui, une fois de plus, en lui disant qu'il a encore trop fait la fête, qu'il "faut dormir la nuit". Comme d'habitude, il répondra à leurs sarcasmes d'un petit sourire, histoire de ne pas faire jaser plus encore. C'est comme ça qu'il procède avec eux, avec les gens en général. Il écoute, il encaisse dans rien dire, il sourit, mais au fond de lui-même, il est blessé, vexé par leurs réflexions, leurs traits d'humour qui n'ont rien ni de drôles, ni d'amusants.
Il s'ennuie. Il a choisi une route, par dépit, mais il sait que, s'il ne change pas de direction, il ne sera jamais heureux dans la vie qu'il mène. Par peur de la solitude, il a pris une femme, il vit avec elle, mais il ne l'aime plus, d'ailleurs, il ne l'a peut-être même jamais aimée. Elle voudrait des enfants. Lui aussi, mais pas avec elle. Il s'est toujours promis qu'il ferait ce cadeau à la femme qu'il aimerait, et qui partagerait son quotidien, pour la vie. Et une chose est sûre, ce n'est pas elle. Elle est gentille et douce, elle est attentionnée, mais toutes ces attentions finissent par le gêner, l'étouffer, il se sent coupable, il a parfois l'impression de profiter de cet amour qu'elle lui porte.
Elle est partie, depuis quelques jours, dans le sud de la France, pour le mariage de sa meilleure amie. Il n'avait pas envie de venir, alors il a menti, une fois de plus, en lui disant que son patron lui avait refusé les quelques jours de vacances demandés. Il n'a même pas posé ces jours. Il ne voulait pas venir, un point c'est tout.
Il est bien sans elle, enfin, mieux en tout cas. Il se sent plus léger, comme libéré de cette présence pesante et étouffante. Il ne veut pas qu'elle souffre. Quelquefois, il rêve qu'elle rencontre un homme et qu'elle le quitte. C'est tout ce dont il a envie, retrouver sa liberté, et même la solitude qu'il craignait tant lui fait envie. Mais il n'ose pas partir, lui, de lui-même. Il aimerait tant qu'elle le mette dehors, une bonne fois pour toutes. Il en serait tellement soulagé. Il n'a pas le courage de partir, pourtant il sait bien qu'il se tue petit à petit dans cette situation qu'il ne supporte plus.
Mais là, depuis qu'il l'a quittée sur le quai de la gare, il respire. Il n'est pas vraiment bien non plus, mais il est toujours mieux que d'habitude. Depuis qu'elle est partie, il retourne la situation dans tous les sens, descend des litres de soda et d'alcool, consume des paquets de cigarettes entiers à vitesse record. Il cherche une solution à tout cela. Elle est pourtant si simple, il le sait bien : la quitter et tout reprendre à zéro. Quitter son boulot aussi, pour ne plus subir tous les jours les mêmes invectives de la part de ses collègues.
Toutes les nuits, depuis trois jours, il refait sa vie, il imagine comment ça sera quand il l'aura enfin quittée, comment il aménagera son futur appartement, les soirées qu'il passera avec ses nouveaux collègues, les amis qu'il aura et qu'il pourra enfin inviter. Depuis trois jours, il ne rêve que de ça, et malgré la fatigue accumulée, il aurait presque l'air détendu ce soir. Il rêve qu'en descendant du train, elle lui dise qu'elle est tombée folle amoureuse du filleul de l'oncle du mari de sa meilleure amie, qu'elle fait ses valises et qu'elle part le rejoindre, à l'autre bout de la France ou du monde, ou de la ville d'ailleurs, peu importe, du moment qu'elle part. Il imagine sa voix prononcer "je te quitte", il en a le coeur qui bat et le sourire aux lèvres.
Trois jours et trois nuits qu'il rêve cette nouvelle vie. Ca y est, c'est décidé, quand elle rentre, il la quitte. Il n'en peut plus de cette vie. Quatrième nuit sans sommeil, elle rentre le lendemain. Il imagine dans sa tête toutes les réactions qu'elle pourrait avoir, toutes les réponses qu'il pourra alors lui donner. C'est sûr, il va la quitter, il n'en peut plus. Plus l'heure approche, plus son coeur bat, plus il est ému et pressé de retrouver enfin son indépendance, ça le fait vibrer rien que d'y penser.
Le train arrive bientôt, plus que quelques minutes et toutes ces phrases qu'il a préparées pourront enfin être prononcées.
19h52, le train entre en gare.Il la guette, il la voit de loin, il s'approche, plus que quelques pas et il pourra enfin lui dire tout ce qu'il a sur le coeur, il pourra enfin fait ce dont il rêve finalement depuis le premier jour, la quitter. Ils sont maintenant face à face.
Et la lâcheté fera que les mots qui sortiront de sa bouche seront encore, pour la millième fois, des mensonges : je t'aime chérie, tu m'as manqué...

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